
Dans la nuit du vendredi 27 au samedi 28 octobre, sous les yeux de nombreuses célébrités, se déroulait en Arabie Saoudite un combat de boxe anglaise qui restera dans les annales de l’histoire du « noble art ». Celui-ci opposait le champion du monde incontesté des poids lourds, Tyson Fury, au champion du monde poids lourd de MMA (Mixed Martial Arts) Francis Ngannou.
Un pari fou
Il faut dire que le combattant camerounais, Francis Ngannou, a pris un pari fou en défiant le combattant britannique, Tyson Fury, on parle tout de même d’un «novice» en boxe anglaise qui défie un champion du monde invaincu avec un palmarès de 33 victoires dont 24 par KO.
En effet, le MMA est une discipline qui nécessite une grande polyvalence puisqu’il faut être en mesure de maîtriser son adversaire debout mais également au sol. De plus, les techniques de tous les arts martiaux sont autorisées hormis les coups de tête présents en boxe birmane.
Or, Fury, contrairement à Ngannou, s’entraîne depuis des années uniquement en boxe anglaise, c’est-à-dire debout, exclusivement avec les poings. Comme si l’écart d’expérience dans ce sport particulièrement technique ne suffisait pas, le boxeur britannique possède aussi l’avantage d’être plus grand de 13 cm (2,06 m) et légèrement plus lourd de 2 kg (125,4 kg).
Les seuls avantages du champion camerounais semblaient alors résider dans son impressionnante force de frappe et dans les conseils de son coach, la légende vivante Mike Tyson. Considéré par certains comme le meilleur boxeur de tous les temps, il apparaît comme le coach parfait puisqu’il a su malmener des adversaires bien plus grands et plus lourds tout au long de sa carrière.
Le vainqueur dans les cœurs
Alors que la plupart des pronostics prédisaient une victoire expéditive du « Gipsy King » (surnom de Tyson Fury en référence à ses origines gitanes), « The Predator » (surnom de Francis Ngannou en référence à son style de combat agressif et puissant) a su livrer une véritable guerre à son opposant.
L’affrontement est allé jusqu’à la décision des juges qui ont décidé de donner la victoire à Tyson Fury à l’issue de 10 rounds de trois minutes. Ce choix a laissé les internautes, mais aussi de nombreux experts perplexes car à la fin du combat, tous les spectateurs, les commentateurs et même les combattants eux-mêmes ont réalisé l’exploit sportif qui venait d’avoir lieu.
Les juges justifient leur position par le nombre de coups mis en faveur du Britannique (71 à 59), mais le nombre de frappes significatives penche en faveur du Camerounais (37 à 32). L’une de ses frappes a même envoyé le champion en titre au tapis quelques secondes. La remise en question de la légitimité est d’autant plus important lorsque l’on connaît le chauvinisme des institutions de boxe anglaise.
À vrai dire, « The Predator » est habitué à la victoire sans médaille. Pour rappel, il est entré en conflit avec l’UFC (Ultimate Fighter League), organisation de MMA dont il dénonce l’exploitation des athlètes. Ces derniers génèrent des profits exceptionnels au péril de leur santé en échange d’un salaire faible et instable (en raison des potentielles blessures notamment), le tout sans couverture santé aux États-Unis.
Un Parcours inspirant
Si Francis Ngannou est autant apprécié des amateurs d’arts martiaux, ce n’est pas seulement grâce à ses qualités de combattant. C’est aussi le fait d’un parcours de vie unique qui force le respect.
En effet, il a grandi dans la pauvreté au Cameroun où il exerçait la profession extrêmement pénible et peu rémunérée de mineur dans une mine de sable. À 15 ans, il voit son père mourir à cause d’une maladie dont il n’avait pas les moyens de payer les soins nécessitant une hospitalisation.
En avril 2012, il décide alors de fuir la misère du Cameroun à la recherche d’une vie meilleure. Un périple de tous les dangers de 4600 km effectué en 14 mois jusqu’au Maroc, porte d’entrée vers l’Europe.
Il lui aura fallu sept tentatives de traversée de la Méditerranée en Zodiaque pour parvenir à traverser la frontière espagnole, grâce à un bateau de la Croix Rouge qui l’a sauvé de la noyade. Après un court séjour en prison à cause de l’irrégularité de sa situation, Francis Ngannou rallie la capitale française.
Le natif de Batié au Cameroun se trouve alors dans une situation de grande précarité, sans logement ni travail. Malgré tout, il ne perd pas espoir et poursuit son rêve, devenir champion du monde de boxe.
Rempli d’espoir, il pousse la porte d’une salle d’entraînement parisienne, et, une dizaine d’années plus tard, le voilà champion du monde des poids lourds à l’UFC (organisation de MMA la plus réputée), président du PFL Afrique (organisation de MMA qui monte en puissance), et pour les spectateurs, vainqueur de sa confrontation face au « Gipsy King ».
Évidemment, il n’a plus à se soucier de problèmes d’argent, puisque ce dernier a empoché 10 millions de dollars rien que pour cette dernière confrontation. Cependant, ce destin hors norme ne doit pas faire oublier que de nombreux migrants n’ont pas eu la chance qu’on leur donne leur chance comme Francis.
Selon Statista, malgré la baisse du nombre de tentatives de traversée de la Méditerranée, le nombre de morts a augmenté de 40% entre 2020 et 2021, passant de 1448 à 2048, alors qu’une baisse tendancielle se faisait ressentir depuis le pic de 5136 morts atteint en 2016.
Pour les survivants, ils ne sont pas au bout de leurs peines. À présent, la bataille administrative pour éviter d’être exclu du territoire national débute en même temps que celle engagée pour le droit à la dignité : obtenir un emploi stable, un logement, affronter les préjugés xénophobes…