Réflexions autour de la figure de la sorcière : un symbole de puissance et d’épanouissement du féminin

La sorcière est un symbole de puissance brandie par les
mouvements féministes. Pour mieux comprendre l’origine et la complexité de
cette figure, nous proposons ici quelques réflexions historiques, littéraires
et culturelles autour de ce mythe.

«À nous le pouvoir» : c’est avec cette incantation que s’ouvre le film de
sorcières adolescentes The Craft (1996). Loin d’utiliser une formule
anodine, la scène fait écho à tous les autres films de sorcières, voire à
l’essence même de la sorcellerie : le désir de reprendre le pouvoir sur une vie
soumise aux désirs et aux injonctions du patriarcat. 

La sorcière, figure féminine éternelle dans la culture et l’histoire est
un symbole fort et puissant de nos jours, utilisé chez certains mouvements
féministes, pour revendiquer l’émancipation de la femme et prôner la liberté
totale de toutes les femmes, démises de toutes les injonctions. 

La naissance de la sorcière

La naissance de la sorcière remonte à plusieurs millénaires avant notre ère. Dans sa complexité historique, la sorcière défie les normes sociales et les hiérarchies de genre.

Dès l’Antiquité, la sorcière est un type de femme qui apparaît des les mythes et dans les chroniques historiques. C’est elle qui, dès le développement des civilisations, porte les stigmas de la société, alors rythmée par la religion. Que ce soit dans l’Antiquité ou au Moyen-Âge, les deux époques dans lesquelles elle a été le plus représentée, la sorcière est fuie du reste de la société, chassée et diabolisée. 

Toutefois, c’est la période médiévale qui finit d’achever la perception de la sorcière comme une créature maléfique, et diabolique aux dires de l’Eglise. Associées au paganisme et à l’hérésie, les sorcières sont chassées en ce qu’elles sont accusées de diffuser le mal, la violence et la cruauté sous l’influence du diable qu’elles louent. Commence alors la chasse aux sorcières qui se solde par de nombreux procès durant lesquels la torture et le bûcher sont les principaux outils employés contre ces femmes. La diabolisation des femmes sous la figure de la sorcière dans les textes médiévaux peut être expliquée également comme moyen de contrôler le comportement des femmes et de perpétuer la domination des hommes. La femme paysanne est la proie idéale du Diable et accusée des malheurs de l’époque et de barbarie : c’est pour cette raison qu’elle est pourchassée, punie et brûlée. La sorcière cristallise toutes les peurs séculaires, les problèmes de la société et les angoisses religieuses et masculines.

C’est en 1215 que l’Eglise catholique crée la juridiction de l’Inquisition, d’abord dans le but de combattre l’hérésie, et qui initie finalement la chasse aux sorcières. Dans les années qui suivent, sorcellerie et hérésie sont très vite associées et le pape Grégoire IX publie le premier texte anti-sorcière « officiel » dans une bulle le Vox in Rama. Ainsi, la législation sur la répression de l’hérésie et de la sorcellerie se multiplie entre le 13e et le 14e siècle. La sorcière devient officiellement un ennemi public à éliminer et les procès contre les sorcières deviennent un phénomène courant et sociétal. On peut prendre l’exemple du premier procès en sorcellerie à Paris en 1390 dirigée contre Jeanne de Brigue qui est condamnée à être brulée vive.Contrairement aux idées reçues, c’est à la Renaissance que la persécution des sorcières atteint son paroxysme. C’est surtout cette période qui a cru aux sorcières et les a persécutées avec l’influence de la Kabbale et l’irruption du surnaturel. Elle devient encore plus une menace à supprimer et est chassée de partout, y compris de l’imaginaire littéraire et ne refait surface qu’à la fin du 19e siècle.

Représentation et symbole de la sorcière en littérature

Derrière son aspect historique, la sorcière est également une grande d’inspiration littéraire et un topos important qui perdure au fil des siècles.

Une des premières représentations d’une figure de sorcière, bien qu’elle ne soit pas nommée ainsi, dans l’histoire et dans les mythes littéraires est Lilith, dans l’Ancien Testament.  Déesse mésopotamienne à la forme de louve à queue de scorpion à l’origine, elle est reprise par la religion juive et chrétienne comme figure d’un démon féminin, sorte de succube qui séduit les hommes puis engendre des créatures démoniaques issues de leurs unions, dévore les enfants et tue les femmes enceintes. C’est dans la Kabbale que son portrait est le plus abouti, faisant d’elle la première véritable figure démoniaque féminine, fondée sur le néant et, au plus grand regret d’Adam et des hommes, libre. De ce fait Lilith est promulguée comme l’incarnation de l’émancipation féminine, refusant la domination masculine par le biais de sa liberté sexuelle et de son indépendance, constituant le symbole du mouvement féministe « Choisir la cause des femmes » dans les années 1970. 

Autre personnage mythique, la fée Morgane dans les légendes arthuriennes qui fait de la femme une séductrice, une figure transgressive de la sorcière qui émerge dans les récits médiévaux. De nature vengeresse, sensuelle et séductrice, prête à tout pour assouvir ses désirs personnels, elle s’oppose à une autre vision de la femme très présente dans la littérature médiévale telles que la fée Viviane (issue des légendes arthuriennes) ou les damoiselles de la Cour en attente de galanterie et de protection masculine. Ainsi, nous rencontrons avec la fée Morgane, une femme forte et affranchie de la domination masculine.

De façon générale, on retrouve dans la littérature, une ambivalence dans la représentation de la femme sorcière : créature laide, vieille et diabolique ou bien femme séduisante et hypersexualisée, elle renvoie à toutes les peurs misogynes.

La figure de la sorcière n’a de cesse d’être représenté, encore et encore, dans les œuvres littéraires, culturelles et artistiques. C’est un thème récurrent en permanence réactualisé qui porte une symbolique forte, déduite de sa considération historique. Son essence maléfique, destructrice et négative imaginée par les hommes est aujourd’hui réinvestie comme un moyen d’empowerment et comme force positive pour les femmes. C’est la réappropriation de la figure de la sorcière qui permet aujourd’hui d’en faire une icône du féminisme et de la puissance féminine.

Les sorcières : des figures féministes incontournables

L’enjeu de la représentation de la sorcière à l’heure actuelle est la réappropriation d’une figure stigmatisée dans la lutte féministe.

En effet, la sorcière est l’inverse de ce que l’on attend traditionnellement d’une femme : elle a du pouvoir et elle inspire la peur. Elle représente tou.te.s les exclu.e.s qui ont refusé de se conformer à la norme en vigueur. C’est une créature sociale qui représente la femme oppressée par le patriarcat, la femme rejetée et effacée des livres d’histoire. Elle est très appréciée au sein du mouvement féministe en ce qu’elle incarne la cristallisation de la crainte masculine et l’émancipation de la femme. La sorcière cache, derrière son archaïsme, une actualité étonnante et source d’inspiration pour de nombreuses femmes. Elle est le symbole d’un féminisme actuel, pop et culturel, multigénérationnel, radical auquel il est aisé de s’identifier.

Comme l’exprime Michel Leiris dans son œuvre L’Âge d’homme, la sorcière se dessine comme l’angoisse de l’homme d’une puissance castratrice féminine. C’est de cette façon qu’elle représente un atout pour le combat des droits des femmes aujourd’hui : prôner la sorcière c’est prôner la volonté de reprendre sa place, sa parole et ses droits au sein de la société en reconnaissant la soumission intrinsèque dans les rapports hommes-femmes volontairement créée par l’homme. De marginale, la sorcière devient la membre d’une communauté qui lui donne du pouvoir, où la différence et les conditions féminines deviennent une force pour se battre, où chacune est acceptée et où le principe de sororité devient essentiel. En France et aux Etats-Unis, les mouvements féministes comme le « Witch bloc » ou le « W.I.T.C.H » brandissent la sorcière comme icône de lutte et arme destructrice du patriarcat et de l’androcratie persistante depuis des décennies.

  • La sorcière est puissante, subversive et à l’origine d’une révolution féminine indispensable. 

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