L’embourgeoisement du rap : évolution artistique ou perte d’authenticité ? 

Depuis ses modestes débuts dans les banlieues états-uniennes, le rap a évolué pour devenir l’un des genres musicaux les plus influents et populaires de notre époque. Cependant, au fil des années, une tendance à l’embourgeoisement du rap a émergé, provoquant une perte d’authenticité et de connexion avec les racines du genre.

Un succès financier incontestable

L’une des principales causes de l’embourgeoisement du rap réside dans le succès financier obtenu par de nombreux artistes du genre. Désormais, certains rappeurs occupent les premières places des classements de l’industrie musicale.

De plus, ils ont réussi à diversifier leurs sources de revenus grâce à des collaborations avec de grandes marques qui profitent de la force de travail d’hommes et de femmes issus de leur milieu d’origine. Ces partenariats publicitaires sont souvent douteux sur le plan moral, et leurs activités entrepreneuriales tout aussi discutables : Entre autres les incitations à investir dans des crypto-monnaies, des NFT, ou des paris sportifs.

Cela conduit certains artistes à faire l’apologie du capitalisme par le culte de la possession de biens luxueux (voitures, vêtements…) à travers leurs paroles et leurs clips. En France, l’apogée de ce phénomène a été atteint en décembre 2021 avec la sortie de l’album intitulé « Jefe », littéralement « chef », du célèbre rappeur français Ninho. Ce dernier a choisi pour la cover de son album un photomontage de lui en costume, regardant par la fenêtre de la plus haute tour d’un quartier d’affaires.

Perte d’authenticité et de connexion avec les racines

La principale critique repose sur le fait que ces artistes entretiennent le mythe de la méritocratie à travers une réussite purement matérielle. Ils deviennent en quelque sorte les portes paroles des élites économiques.

En effet, le rap était à l’origine une forme d’expression des communautés marginalisées, une voix pour les opprimés… voix qui s’est fortement atténuée avec ce phénomène. Actuellement, la majorité des rappeurs connus par les jeunes Français ont perdu de vue les réalités vécues par de nombreuses personnes et se sont plutôt tournés vers des thématiques superficielles. Leurs prédécesseurs, à l’inverse, vivaient et faisaient vivre l’apogée politique du rap, il y a une trentaine d’années.

L’année 1990 consacrait pleinement l’ère Bush aux États-Unis, notamment avec le début de la guerre du Golfe. Quelques mois après, la bavure policière filmée commise sur Rodney King a marqué le début d’une véritable révolte des quartiers populaires. Elle a été mise en musique par des artistes comme Public Enemy et Ice Cube aux États-Unis, puis par des groupes français comme IAM ou NTM.

Cependant, il est important de noter que le rap dit « conscient » existe toujours bel est bien à travers des artistes comme Médine, Kery James, ZKR ou encore ISK pour ne citer qu’eux. Ce genre peut tout à fait cohabiter avec du rap moins politisé qui possède une sensibilité artistique différente.

De plus, les rappeurs sont soumis aux lois du marché qui exigent une certaine productivité et une réponse à la demande grandissante des consommateurs. Ce phénomène se renforce depuis la démocratisation des services de streaming, altérant inévitablement la qualité et la sincérité de l’art qui se délitent progressivement pour ne devenir finalement qu’un produit sur le marché capitaliste.

Retour en haut