Le domaine universitaire de Pessac-Talence-Gradignan : visite guidée de quatre-vingt ans de travaux en cours

Avant Garde Gironde

A l’occasion des journées du patrimoine, du vendredi 16 au dimanche 18 septembre, l’Université Bordeaux Montaigne accueillait dans son hall administratif une exposition. Intitulée “Le domaine universitaire Pessac-Talence-Gradignan, 1950 – 2030, Un espace des possibles ? ». Elle est animée par une étudiante d’Archimuse, une association d’étudiants du Master Patrimoine et Musées qui organise fréquemment des événements de médiation autour du patrimoine architectural de la région Nouvelle Aquitaine. Cette exposition est une occasion parfaite de rappeler l’histoire mouvementée d’un domaine universitaire en perpétuelle construction.

Genèse d’un domaine universitaire au cœur des Trente Glorieuses

L’exposition occupe le rez-de-chaussée du hall administratif de l’Université Bordeaux Montaigne de bout en bout, laissant apercevoir au premier regard une série de grilles où sont accrochés des panneaux explicatifs finement maquettés et retraçant, du nord vers le sud, la riche histoire du vaste domaine universitaire de Pessac-Talence-Gradignan. Lorsque vient l’heure de la visite, la guide accueille les visiteurs au centre de la salle.

En l’écoutant, on découvre la genèse d’un quartier universitaire excentré, dont la construction a officiellement été décidée en 1941 pour faire face à l’afflux de plus en plus important d’étudiants, que les universités du centre-ville présentes alors n’avaient plus la place d’accueillir. Les premiers plans pour la faculté de sciences de Talence sont réalisés en 1953 par René Coulon, dans le plus pur style rationaliste : des formes simples, une lisibilité de l’organisation de l’espace intérieur dans l’aspect extérieur des murs, et une volonté de réduire au maximum les coûts de construction. Cette esthétique purement fonctionnelle et pratique ne devait cependant pas retirer à l’endroit son prestige et son aura académique, et pour ne pas faire trop pâle figure face aux universités de style plus classique du centre-ville, René Coulon a pris le soin de créer un portail aux influences Art Déco à l’entrée de la faculté, du côté du parc de Peixotto. Il marque la frontière entre l’univers de la ville et celui de la connaissance.   

Dès les années soixante et soixante-dix, l’université s’étend vers l’Ouest. Ainsi naissent les facultés de droit et de lettres. Si leur style se rapproche sensiblement du rationalisme de René Coulon, elles en sont une version atténuée et plus soucieuse de considérations esthétiques. L’aspect solennel est plus marqué ; il se retrouve entre autres dans les colonnes et les escaliers monumentaux de l’Aula Magna, plus grand amphithéâtre de la faculté de droit, ainsi que dans les bas-reliefs observables le long de certains murs de l’Université Bordeaux-Montaigne.

Dans le cas de la faculté de sciences comme dans celui des facultés de droit et lettres, seul 20% de l’espace est bâti. Le reste est dévolu aux espaces verts, aux chemins de promenade… Et aux parkings bien entendu.

Années 1980-90 : un espace de pôles monofonctionnels victime de sa foi en l’automobile

Le problème de l’enclavement du domaine universitaire commence à se poser à partir des années 80, et concerne particulièrement les parties les plus excentrées de celui-ci, à l’ouest (Bordeaux III et IV). Les parkings arrivent peu à peu à saturation, et le déficit d’alternatives à la voiture commence à poser des problèmes d’isolement vis-à-vis du reste de la ville. Au terme d’une longue réflexion, le projet de tramway est finalement adopté en 1997 ; il est inauguré en 2004 et améliore considérablement les mobilités autour de l’université, tout en permettant de limiter la nécessité de l’usage de la voiture. En dépit de cet effort de désenclavement, la réputation du domaine souffre de plus en plus du vieillissement et de la décrépitude de son patrimoine bâti, ainsi que de ses carences en matière de services.

Dans les années 80, le domaine est encore loin d’être un lieu de vie, et le supplément d’âme apporté par l’esthétique si particulière des facultés de droit et de lettres ne suffit pas à en faire un espace attractif, plaisant à habiter. A partir des années 90, le CROUS s’impose ainsi comme un acteur majeur de la dynamisation de l’espace et installe parallèlement au projet de ligne de tramway une offre variée de restaurants (le Vent Debout, le Veracruz, le Sirtaki, …) et de lieux de vente de produits de première nécessité (CROUS Market). Le bâtiment d’archéologie, l’emblématique Maison des Arts (intentionnellement conçue avec un aspect usé par Massimiliano Fuksas) et la bibliothèque d’économie et de gestion, pour ne citer qu’eux, sont construits dans la même période comme autant d’arguments en faveur du dynamisme et de l’attractivité de cet espace. 

Faire du domaine universitaire un quartier de ville : un projet de grande envergure et de longue haleine

En 2004, un appel à projet est lancé dans la continuité des efforts de revitalisation du domaine universitaire. La lauréate est l’architecte et urbaniste Tania Concko, qui propose une organisation de l’espace consistant à penser l’aménagement du domaine en fonction des deux bandes qui le constituent : une bande fortement aménagée le long de la ligne B, contenant les bâtiments universitaires, les logements et les services, et une autre peu artificialisée, constituée essentiellement d’espaces verts et s’étendant d’est en ouest sur le reste du territoire. L’idée est de diluer des services et des aménagements sur la première bande afin de dynamiser l’espace, et de faire de l’autre bande un espace vert alloué aux loisirs et à la détente. Ce plan inspire largement le projet Opération Campus lancé en 2008, à l’origine de la rénovation de la faculté de sciences et des travaux encore en cours à la faculté de droit et à l’Université Bordeaux Montaigne. Il prévoit entre autres une revalorisation des laisses urbaines situées entre la rocade et le parc de Rocquencourt, par l’ouverture du foncier aux acteurs privés (promoteurs immobiliers, commerçants, …), afin de faire du domaine universitaire un véritable quartier de ville d’ici à 2025. Pour autant les enjeux se sont depuis accentués et ont évolué de telle sorte que les ambitions du projet Opération Campus (qui a coûté plus de 500 millions d’euros) sont devenues insuffisantes pour ré-insuffler durablement la vie dans ce territoire.

Le projet BIC (Bordeaux Innov Campus) est donc officiellement lancé en 2016 pour prendre la relève et coordonner les divers acteurs dans une vaste entreprise de réaménagement. Ce dernier ne concerne plus seulement les quartiers où se trouvent les universités, mais bien l’ensemble du domaine universitaire, ce qui inclut des espaces situés à l’extérieur de la rocade (Pessac Photonique, Hôpital Pellegrin, …). En tout, ce n’est pas moins de 1350 hectares qui doivent être repensés et harmonisés d’ici à 2030, afin de créer un quartier cohérent et au trafic plus fluide, portés par des infrastructures durables et réduisant la nécessité de l’usage de la voiture. L’objectif principal de ce projet est de faire sortir le quartier du modèle de noyaux monofonctionnels distincts qui a jusqu’alors été le sien, avec des quartiers entiers dévolus uniquement au logement (Saige), à l’enseignement et à la recherche ou au commerce (La Galerie Géant Pessac, grand centre commercial, mi-bâti mi-parking, situé de l’autre côté de la rocade). 

Cette exposition n’a pas fait grand bruit : seules six personnes se sont présentées à la visite guidée. Elle mérite un écho bien plus large. A travers l’architecture du domaine universitaire et les projets, réalisés ou bien en cours, les visiteurs ont l’occasion de découvrir les erreurs commises et les efforts mis en œuvre pour y pallier dans un domaine universitaire au concept inédit en son temps. C’est également l’occasion de se rappeler que l’amélioration des conditions de vie des étudiants passe par des luttes politiques et syndicales de longue haleine, mais également par l’adaptation de leur cadre de vie et d’études aux enjeux contemporains. Reste à voir comment l’ambitieux projet du BIC peut mettre d’accord les quatre communes, les deux domaines universitaires, Bordeaux Métropole et les habitants, permanents ou temporaires, dans un projet d’aménagement coordonné. Reste à voir également comment nous autres, étudiants, pouvons apporter notre pierre à l’édifice d’un projet qui nous concerne si directement, en dépit de notre manque de mobilisation à ce sujet. Non pas que nous soyons énormément sollicités, du reste.