En Espagne, la ministre du travail Yolanda Diaz et cheffe de file d’une coalition de partis de gauche radicale regroupés dans Sumar met en avant sa volonté d’établir un héritage universel. Ainsi, elle a proposé de donner 20 000 euros à chaque jeune de 18 ans. L’héritage universel sera versé sur cinq années.

Bien que financée par une taxe sur les riches gagnant plus de 3 millions d’euros par an, cette proposition ne s’attaque pas aux fondements inégalitaires de la société. Elle s’inscrit dans une logique d’atténuation de celles-ci par une redistribution.
Les mythes de l’égalité des chances dans une société divisée en classes
Si le principe de revenu pour tous permettant de libérer les individus de leurs conditions sociales d’origine est entendable, le montant universel de celui-ci témoigne d’une vision simpliste de l’égalité. Il est probable que les jeunes appréhenderont la gestion de cette somme de manière à faire ressortir leur origine sociale.
Ainsi, pendant que les jeunes issus de classes populaires se serviront de cette somme pour garantir leurs dépenses de vie quotidienne, ceux issus de familles plus aisées pourront épargner cette somme dans la perspective d’un investissement futur rentable. Les individus issus de famille d’entrepreneurs peuvent même disposer des connaissances afin d’utiliser cette somme de façon optimale, contrairement aux autres.
De plus, le versement de 20 000 euros sur cinq années correspond à un montant de 333,33 euros mensuel. Cette somme est concrètement insuffisante pour rendre les jeunes indépendants de leur famille.
Un revenu mensuel qui permettrait de répondre aux besoins spécifiques de chacun serait un moyen plus adapté de lutter contre les orientations professionnelles forcées. De plus, il convient de souligner qu’il n’y a pas d’homogénéité au sein de la jeunesse. Étudiants, jeunes travailleurs, employés à temps partiels, privés d’emplois, jeunes vivant au sein ou au dehors du domicile familial… Les situations sociales sont différentes et nécessitent des réponses ciblées aux besoins et aspirations de chacun.
A contrario d’une apparente égalité se basant sur la gestion d’un même capital de départ, un revenu mensuel dont le montant serait basé sur le coût de la vie sur chaque territoire et sur la situation sociale de chacun permettrait à tout jeune de s’épanouir dans la formation ou l’activité de son choix.
Une redistribution étatique intégrée dans l’économie de marché
Le versement d’une somme de 20 000 euros, s’il n’est accompagné d’aucune extension des services publics, ne sera rien d’autre qu’un versement indirect de l’État aux mains du secteur privé.
Ainsi, il est indispensable de développer de réels services publics du logement, de l’alimentation, de la culture, du sport… L’accroissement de ces services garantirait à chacun l’accès aux objets d’usages nécessaires au quotidien et à des loisirs émancipateurs.
Ils permettent en outre d’extraire les besoins de la vie des mains du marché. N’ayant pas une nécessité de rentabilité propre au privé, les services publics permettent une réduction des coûts dans un premier temps, pour s’inscrire dans un horizon de gratuité à moyen terme.
La proposition de Yolanda Diaz comporte une autre limite : elle repose uniquement sur l’État. Elle substitue ainsi une forme de dépendance familiale à une dépendance étatique. De plus, ne dépendant que de l’État, elle pourra être plus facilement abrogée par les forces conservatrices et libérales si celles-ci reviennent au pouvoir, plutôt que s’il s’agissait d’un nouveau système de solidarité géré démocratiquement par les intéressés eux-mêmes.
Ainsi, même en considérant cette proposition non comme de rupture avec le cadre marchand mais plutôt telle qu’une conquête sociale, la proposition de Yolanda Diaz reste fort peu ambitieuse. Face à l’accentuation de la précarité causée par les logiques néolibérales et l’offensive sur tout le continent européen des forces d’extrême-droite qui en résulte, il est urgent pour la gauche dite “de rupture” de retrouver ses repères idéologiques, afin de redevenir réellement une gauche de rupture.