De l’aliénation à l’émancipation : dépasser le salariat

Zoom sur les mains d'une personne qui signe un contrat de travail (salariat) à l'aide d'un stylo noir.

Les grands penseurs humanistes de l’émancipation du Genre Humain désignaient le travail salarié tel un frein à la liberté. Le salariat, représentant le plus radical de l’aliénation de l’être humain et de sa réduction à une valeur marchande, devait être combattu pour être dépassé et non simplement aménagé. 

Perception du salariat : symbole de l’aliénation et réduction marchande de l’Homme 

Dans le règne de la Liberté et de l’Égalité, Jean-Jacques Rousseau considère que   « nul citoyen ne doit être assez opulent pour en acheter un autre, et nul assez pauvre pour  être contraint de se vendre ». Il anticipe déjà l’avènement généralisé du salariat et en critique l’hypocrisie consistant à le présenter comme « le travail libre ». 

En effet, cela équivaut à un réductionnisme libéral de la Liberté, celle-ci ne devant être garantie que par l’absence de contrainte juridique et non par un agissement sur les causes matérielles entravant l’universalisation de cette dernière. 

Karl Marx va même plus loin en soulignant que tout travail productif relevant de nécessités matérielles, telles que la réponse aux besoins vitaux, ne peut être relevé dans le champ de la liberté. 

Or, le salariat contraint le travailleur à passer plus de temps à la production, le soumet à une volonté étrangère à lui et le contraint à vendre une part de son existence — celle correspondant à son temps de travail – à un capitaliste afin de lui assurer son existence. 

Ainsi, la généralisation du salariat ne laisse à l’individu sans ressources financières conséquentes que deux « choix » : produire pour autrui ou ramper dans la misère. Et encore, les chômeurs ne choisissent nullement leur situation. 

Le si mal nommé « travail libre » se trouve donc être à des années lumières de la Liberté. 

Au cours des XIXe et XXe siècles, les organisations luttant pour l’émancipation du Genre Humain vont revendiquer l’abolition du salariat et lutter pour la coopération des producteurs afin de permettre l’épanouissement des facultés physiques et intellectuelles de chacun. 

Changement de perception par l’évolution du salariat et la contre-révolution néolibérale

Aujourd’hui, paradoxalement, ce même statut du salariat avec les droits sociaux qui y sont alloués se trouvent être un rempart – certes partiel et sans cesse affaibli – face à la précarité grandissante. D’une part, les conditions sociales du salariat ont grandement évoluées depuis le XIXe siècle. Cela émane de deux siècles de luttes et conquêtes sociales du mouvement ouvrier. 

La capacité d’organisation et d’action du salariat par le biais d’un syndicat et d’un parti politique a permis d’ébranler le dogme libéral de non-intervention de l’État dans le monde du travail. Ainsi, une durée légale quotidienne puis hebdomadaire du travail a été juridiquement déterminée, un salaire minimum (SMIC) existe, la Sécurité Sociale a été conquise au lendemain de la Libération.  

Aujourd’hui, bien que les contre-réformes néolibérales reviennent sur les droits sociaux conquis, elles ne parviennent pas à briser complètement les traces de deux siècles de luttes sociales. 

Prenons l’exemple de la Sécurité Sociale. Cela fait trois décennies que le patronat s’attelle à la démanteler en menant la bataille culturelle pour la faire percevoir comme vieillie, mal adoptée, trop coûteuse. Or, en 2021, encore 85% français disent en avoir une bonne image. 

Parallèlement, nous voyons, ces dernières années, le développement de l’uberisation du travail. Présentée comme un progrès, un modèle d’avenir, celle-ci témoigne plutôt d’un grand retour en arrière du fait d’un rapport de force plus favorable du patronat vis-à-vis du salariat depuis les trois dernières décennies. Ainsi, ces « auto-entrepreneurs » s’apparentent davantage à des salariés du XIXe siècle. Aux ordres de grandes plateformes, ces derniers ne disposent d’aucune protection sociale, à l’instar des salariés du XIXe siècle avant leur organisation. 

Pourtant, cette forme d’emploi, ainsi que les contrats courts et à temps partiels, progressent fortement. Nous en sommes à un tel point de faiblesse que nous, progressistes, sommes amenés à défendre l’obtention du statut de salarié et la signature de contrats stables. 

De la consolidation du salariat à l’ère de la libre coopération 

Afin de ne pas sombrer dans un pessimisme excessif face au constat actuel, il est nécessaire de distinguer ce qui relève de perspectives à court terme, articulé au rapport de force actuel, de ce en quoi consiste notre projet à long terme. 

Aujourd’hui, la mise en protection des salariés précarisés et l’obtention du statut de salariés pour les travailleurs des plateformes sont des axes stratégiques pour renforcer les forces de notre camp social. Ces mesures sont donc bien plus un moyen qu’une fin en soit, car si elles améliorent nos existences, elles ne permettent pas à elles seules de conquérir notre émancipation. La consolidation du salariat et sa restructuration au sein de contrats plus stables permettra une meilleure capacité d’organisation et de lutte des travailleurs.  

L’évolution du rapport de force avec le capital qui pourra en ressortir permettra de pousser le combat plus loin, avec un projet plus ambitieux qui consiste à terme dans le dépassement du salariat. De ce dépassement, nous ne pouvons être trop précis, car les formes exactes qu’il prendra relèvera des décisions que prendront collectivement les  citoyens et producteurs une fois que nous aurons repris le contrôle de la société et des moyens de production. 

Nous pouvons simplement dire que la nouvelle organisation du travail qui en ressortira sera la libre coopération, que la production répondra prioritairement à un besoin d’usage et que le travailleur ne sera plus une marchandise vendant une partie de son temps à autrui, mais bien un acteur décidant et participant collectivement à l’activité productive. De plus, le temps passé à l’activité productive et la répartition de chacun au sein de celle-ci sera déterminée collectivement et non imposée comme aujourd’hui.

En bref, nous pouvons dire que la bataille pour le dépassement du salariat permet la conquête de notre liberté collective. Restera à voir comment nous utiliserons cette dernière.

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