Sans-abris, le grand silence de l’Etat

Trois semaines plus tôt, un homme et une femme, tous deux sans-abris, ont perdu la vie à Bordeaux. Un témoignage criant tant du manque de moyens des collectivités locales et associations pour pouvoir venir en aide à tous celles et ceux qui n’ont pour foyer que la rue, que de l’indifférence de l’Etat quant au quotidien et à la survie de ces dernier.ères.

Une augmentation aux facteurs nombreux 

En 2012, en France, 143 000 personnes étaient sans domicile fixe. En 2023, elles étaient 330 000, dont plus de 2 000 enfants. Quand l’Union Européenne clamait en 2020 un objectif “zéro personnes dans la rue en 2030”, cette augmentation massive de 130 % révèle l’inaction insolente de l’Etat français face aux conditions de vie-plutôt devrions-nous parler de survie- de ces citoyens ostracisés et ignorés.

Bien éloignées des valeurs françaises d’égalité et de fraternité, nombre de législations des gouvernements successifs ont largement participé à l’explosion des cas de sans-abrisme. Dans leur rapport de 2024, le collectif Les Morts de la Rue évoque la restriction des aides au logement (APL), l’attribution du RSA conditionnée à l’obligation d’activité -sans prise en compte des situations sociales et sanitaires de ses bénéficiaires-, le rejet de la construction de logements sociaux dans une centaine de communes. Cela s’inscrit dans la continuité d’une politique néolibérale, considérant que les personnes mal-logées ou sans-abris sont responsables de leur condition, et choisissant les sanctions stériles aux initiatives légitimes.

En outre, on assiste à de véritables politiques de répression des personnes sans domicile fixe -qui bien entendu ne résolvent en rien la problématique de l’accès à un toit autrement dit à la dignité, la sécurité et la stabilité. Une répression matérielle par le développement d’un urbanisme « anti-sdf » -accoudoirs entravant les bancs, voire leur retrait près de gares et abribus, piquets sur certaines zones-  et institutionnelle par des arrêtés tels que l’interdiction de distributions de denrées alimentaires à Paris et à Calais ou des évacuations policières arbitraires et parfois violentes.

Un risque de mortalité inquiétant

L’abandon des personnes sdf par l’Etat n’est pas sans conséquences, et elles sont glaçantes. Selon une enquête de Statista, entre 2002 et 2023, le nombre de décès de personnes sans-abris ou ayant connu cette condition dans leur vie a considérablement augmenté, passant de 86 à 826. De plus, leur espérance de vie est de trente ans inférieure à celle de la population générale -48,8 ans.

Vivre dehors c’est être constamment exposé à des dangers multiples. Les viols, les brûlures, les accidents, l’hypothermie -lors de vagues de grand froid- sont bien plus fréquents et la prise en charge -si elle est souvent peu envisagée- est rarement envisageable. Être dépourvu d’un foyer détruit également à petit feu la santé physique. Céphalées, maladies respiratoires, articulaire, osseuse et trouble du système digestif ciblent principalement les personnes sans domicile. La santé mentale se trouve aussi bouleversée, les troubles psychiatriques sévères -dépression, trouble anxieux, addiction- étant huit à dix fois supérieurs que chez la population générale.

Ainsi, dans le pays des droits de l’Homme, alors que les personnes sans-abris sont les plus vulnérables face aux problèmes de santé, c’est à elles que l’accès aux soins et à un suivi médical est le plus difficile.

A quand des actes ?

Au regard de cette dure réalité et des vagues de froid récentes, il est aussi effarant qu’insupportable de constater l’inaction de l’Etat. Ce dernier persiste à détourner les yeux et refuse d’ouvrir un nombre décent et nécessaire de places supplémentaires en hébergement d’urgence -3,1 millions de logements demeurent  pourtant vacants aujourd’hui en France ! Et les maigres réponses apportées sont toujours à court terme, ne mettant pas en œuvre les conditions réelles pour une réinsertion durable dans la société.

Il se déresponsabilise de sorte que continue effectivement l’abandon de ce que Bourdieu appelait la main gauche de l’Etat, garante de la protection et du bien-être des citoyens. Il laisse donc aux collectivités la prise en charge des sans-abris -avec de nouvelles arrivées quelques mois plus tôt dues aux expulsions massives en vue des JO- qui, non seulement peinent déjà à venir en aide à ceux présents sur leur territoire, mais ne sont surtout pas en mesure d’assurer un accueil digne à ces nouveaux arrivants. Si les moyens financiers alloués à l’hébergement d’urgence, aux soins médicaux-sociaux, à l’aide alimentaire sont insuffisants, ils le seront d’autant plus cette année par un nouveau budget d’austérité aux coupures considérables.

Laisser perdurer la situation inacceptable dans laquelle sont plongés 330 000 hommes, femmes et enfants et ignorer les centaines de décès de l’année précédente signifie la négation de la France comme une république sociale. Il n’est pas urgent, il est vital de réagir car comme le rappelait Aimé Césaire en 1950, « Ce n’est pas par la tête que les civilisations pourrissent, c’est d’abord par le cœur. »

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