Haut-Karabakh : jusqu’où iront la Turquie et son bras armé l’Azerbaïdjan ?

Des bombardements meurtriers (près de 200 morts), des milliers de familles sur le chemin de l’exil, un gouvernement arménien capitulant en catastrophe… Tel est le sombre tableau de la brève action de l’Azerbaïdjan. Seulement, après une victoire écrasante, une indifférence totale des pays européens et un immobilisme de la Russie, jusqu’où iront la Turquie et son allié militaire l’Azerbaïdjan ?

Une agression désastreuse pour les civils

Avant d’évoquer les relations économiques à l’origine de l’agression et du positionnement de chaque acteur, il convient d’aborder la souffrance humaine et sociale qu’engendre cette attaque. Le Haut-Karabakh, bien que disputé depuis 100 ans, est composé essentiellement d’Arméniens.

De plus, l’Histoire pèse lourd sur ce peuple dont les dirigeants turcs se sont cyniquement servis de bouc émissaire durant leurs échecs militaires de 1915, entraînant le génocide de plus d’un million d’Arméniens. Les cas répertoriés de nettoyages ethniques employés par une partie des forces armées azéries à leur encontre n’est pas pour les rassurer.

De même, l’intensité des bombardements de l’Azerbaïdjan, en plus de provoquer la mort de 200 civils, ont poussé sur le chemin de l’exil des milliers de familles arméniennes.

Enfin, au vu de la situation politique en Azerbaïdjan, les peuples sont en proie, réellement, à l’autoritarisme doublé d’un nationalisme musulman avec, pour conclure la recette, une dose de populisme anti-arménien.

Les citoyens habitants initialement le Haut-Karabakh ne peuvent qu’être alarmés par l’évolution de leur situation avec l’annexion de leur enclave à l’Azerbaïdjan. Il est clair que pour les Arméniens, l’exil – bien que représentant une douleur immense – est la seule solution garantissant leur sécurité.

Des pays européens aux intérêts économiques convergents avec l’Azerbaïdjan

Il est de coutume de distinguer au sein de l’Union européenne – bien aidée en cela par les États-Unis – les bons dictateurs des mauvais. Il semblerait que Ilham Aliyev, l’homme qui dirige l’Azerbaïdjan d’une main de fer depuis 20 ans, soit bon élève.

Un débouché fiable en armements pour les industries militaires françaises qui permet de rattraper le fait qu’elles se soient fait griller la politesse à plusieurs reprises par les États-Unis en la matière, à l’instar du fameux réarmement allemand, où les armements français durent laisser place à ceux américains.

En effet, depuis au moins 2020, bien que se proclamant « amie de l’Arménie », la France ne rechigne pas à armer son voisin malgré l’agression de ce dernier. L’Union européenne, quant à elle, toujours si scrupuleuse sur ses relations commerciales, n’a rien trouvé de mieux à faire que de remplacer une partie du gaz russe par du gaz en provenance de l’Azerbaïdjan.

Les exportations de gaz entre ces deux acteurs ont bondi de plus de 30% l’année dernière alors que la tension diplomatique est remontée depuis l’agression de l’armée azérie sur le Haut-Karabakh. Ce ne sont pas moins de 7,3 milliards de mètres cubes de gaz livrés durant les 8 premiers mois de l’année 2022 ! Ainsi, la France et l’Union européenne financent et participent indirectement à l’attaque d’un « pays allié ».

Si prompte à organiser des sanctions et des blocus dans certaines situations, notre pays encourage matériellement une agression militaire impérialiste. Une preuve de plus démontrant que la diplomatie internationale, pour les démocraties libérales occidentales, est bien plus affaire d’intérêts économiques et stratégiques que de vertus morales. Quitte à multiplier les guerres aux conséquences désastreuses et au détriment de la coopération pacifique entre les peuples.

La guerre de l’Azerbaïdjan pour la satisfaction des intérêts économiques d’Ankara

En l’occurrence, la situation du Haut-Karabakh – et plus globalement du Sud de l’Arménie – résulte d’intérêts économiques de la Turquie et de son allié l’Azerbaïdjan, dont la satisfaction n’est vue que par l’intermédiaire d’une conquête de territoires.

Cette vision ne peut en effet s’articuler qu’avec une agression militaire, les divisions ethniques servant bien plus de prétexte que de cause au conflit. En effet, si la Turquie et l’Azerbaïdjan suivent leur logique jusqu’au bout, ils annexeront également le Syunik, conformément à la volonté d’Ankara d’obtenir une continuité territoriale pan-turque.

Cette annexion permettra à la Turquie d’avoir une frontière commune avec l’Azerbaïdjan et, par cet intermédiaire, d’être rattachée à l’Asie centrale. Cela leur permettrait de développer des relations économiques avec ces pays sans avoir à passer par le territoire de l’Arménie, voisin gênant au passé historique conflictuel et génocidaire (les autorités turques ayant organisé le massacre de plus d’un million d’Arméniens en 1915).

Sans intervention internationale et malgré la capitulation de l’Arménie, il est donc peu probable que le conflit cesse dans les années à venir. D’autant plus que la perte du Syunik serait désastreuse pour l’Arménie qui perdrait sa frontière avec l’Iran et l’isolerait encore davantage géographiquement, renforçant son enfermement entre la Turquie et l’Azerbaïdjan.

La guerre et l’annexion ne sont pas des fatalités

Des perspectives existent cependant pour résoudre une telle situation et faire prévaloir la paix et des relations mutuelles et souveraines entre les peuples. La forte médiatisation et l’orientation des débats sur la guerre en Ukraine à l’ONU et dans les autres instances internationales participent à la marginalisation du conflit au sud de l’Arménie.

Toutefois, les prises de position répétées des pays dits du « Sud » en faveur de la paix en Ukraine laissent envisager un engagement global de ces nations pour la coopération pacifique des nations et la remise en cause de l’ordre de domination du monde par une poignée de pays dits « développés ».

Le succès du dernier discours de Lula à l’ONU sur les conséquences désastreuses des guerres pour les pays dits du « Sud » témoignent de cette volonté d’une majorité de la communauté internationale d’en finir avec les conflits meurtriers. La fin de la guerre en Ukraine permettrait également à la Russie de rejouer le rôle d’arbitre et d’équilibre qu’elle occupait encore en 2020.

Nous avons aussi notre part de responsabilité en tant que militants progressistes français. Nous pouvons par notre mobilisation faire pression sur le gouvernement français afin qu’il soutienne réellement la paix et l’absence de perte de territoires du pays agressé en cessant ses ventes d’armes à l’Azerbaïdjan et en arrêtant de soutenir la livraison de gaz azéri à l’Union européenne.

Des sanctions doivent également être prises contre le gouvernement de l’Azerbaïdjan qui ne respecte ni la démocratie, ni l’intégrité territoriale de l’Arménie et encore moins les droits humains. 

L’ONU et la France se doivent de prendre position pour aider l’Arménie à faire face à cette agression et favoriser la tenue de négociations sans qu’il subsiste de pressions d’un côté comme de l’autre.

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