Lettre ouverte des associations de maraudes bordelaises

Des associations de maraudes bordelaises se sont récemment mises en grève pour dénoncer le manque de moyens alloués par l’Etat pour répondre aux besoins des plus démunis. Nous relayons ici une lettre ouverte publiée sur les réseaux sociaux, visant à expliquer la démarche de cette grève et résumant les difficultés rencontrées.

Alors que les trois précédents Présidents de la République française s’étaient engagés « à ce que plus personne ne dorme à la rue dans notre pays” , on compte actuellement plus de 300 000 sans-abris en France, dont 1 600 enfants.

Selon l’Abbé Pierre : « Les hommes politiques ne connaissent la misère que par les chiffres et on ne pleure pas devant les chiffres ».

La réalité, c’est que les associations voient la misère et la détresse des gens, voient des nourrissons de 4 jours dans la rue, des personnes et des familles dormir dans les tentes mangées par les rats, des personnes seules, des jeunes dormir dehors exposés à l’errance, à la mendicité, à la violence et aux addictions.

En France, si le droit au logement opposable n’est accessible qu’aux personnes présentes sur le territoire en situation régulière, l’hébergement d’urgence est quant à lui un droit fondamental et inconditionnel, mais constamment bafoué.

La préfecture de Gironde, vient encore récemment de perdre un référé sur l’hébergement l’obligeant à loger une famille, et pour autant, elle n’exécute pas la décision. La préfète ne respecte pas la loi et c’est récurrent !

Pire ! Le gouvernement travaille sur un projet de loi de finances 2022/2023 qui prévoit de supprimer 14 000 places d’hébergement disponibles sur le territoire national alors même que les besoins en la matière ne sont déjà pas à la hauteur.

Nos associations dénoncent déjà depuis de nombreux mois ces fermetures de places, notamment en Gironde, où 152 places ont déjà disparu depuis 2012, soit 243 depuis 2020.

Les acteurs de terrain, les bénévoles et les personnes concernées par la précarité en matière d’hébergement demandent à contrario l’ouverture immédiate de 1 000 places d’accueil à Bordeaux, dont 60 % réservées à des personnes isolées conformément aux profils des personnes laissées dans la rue.

Ces places doivent être pérennes, adaptées et permettre l’accueil des personnes accompagnées d’animaux, l’hébergement et le soin des personnes en situation de dépendance, la mise à l’abri des MNA en attente de décision ainsi que l’accueil des travailleurs saisonniers.

Laisser les personnes dans la rue sans accompagnement vers le logement, coûte très cher à la société : urgences, centres médico-psychologiques, prisons, structures d’hébergement temporaire, hôtels, sans compter les besoins quotidiens fournis par les associations, tout ça pour finir par un retour à la rue.

L’hébergement, lorsqu’il n’est pas adossé à un accompagnement, n’empêche pas les personnes de se retrouver dans la rue et a un coût conséquent :

Par exemple, une femme seule, ayant un titre de séjour et un emploi à temps partiel, est restée à l’hôtel 5 ans. Si l’on estime à 70 € le prix d’une nuit d’hôtel, le coût total est de 126 000 € à terme, soit le prix d’un studio.

Pour lui éviter la rue, la fondation Abbé Pierre a financé sa mise à l’abri le temps d’intégrer un logement (trouvé par une bénévole), même chose pour une famille logée depuis 7 ans à l’hôtel.

Laisser les personnes dans la rue, c’est les mettre en danger. Elles se retrouvent confrontées à la solitude, à l’amertume et au désespoir. L’alcool, la drogue et les médicaments sont alors bien souvent la seule béquille qu’ils trouvent pour ne pas sombrer.

Nous avons également toutes et tous remarqué que nos bénéficiaires sont souvent accompagnés de chiens. Fidèles compagnons, plus que des ami.es, ils sont souvent la seule famille qu’ils ont. Il est donc impératif d’adapter les prises en charge de ces publics.

Actuellement, la ville de Bordeaux accueille les semaines d’information sur la santé mentale.

Pour info, sur un an, une personne sans domicile fixe atteint de troubles mentaux (soit environ la moitié des personnes à la rue) coûte 17 000 euros à l’Etat, contre 14 000 pour les gens logés dans le cadre « d’un chez-soi d’abord ».

Dans la rue, on se bat, on se blesse, on tombe malade en permanence…

Laisser des personnes à la rue, occasionne des troubles à l’ordre public et une exaspération des riverains,

La gestion des nuisances à la tranquillité publique en lien avec les sans abris polytoxicomane ou santé mentale représente 60% de l’activité de la brigade de police municipale du centre-ville.

Malheureusement, le 115, faute de moyens humains et de places d’hébergement, ne répond pas positivement aux appels et à nos mails. Comme nous, ces services le déplorent, preuve en est la récente grève du 115 à Rennes. Nous sommes toutes et tous épuisés par cette situation.

Les associations ne veulent pas d’un nouvel hiver à gérer l’urgence, à voir des hommes, des femmes et des familles avec enfants à la rue.

Nous le savons, les conditions de vie sous une tente sont responsables de nombreuses maladies et de nombreux décès, par le froid, le manque d’accès aux soins, la violence… Une douzaine de décès ont été recensés depuis deux ans en Gironde.

Ce n’est plus acceptable !

Le Gouvernement a la charge d’assurer à toute personne sans abri et en situation de détresse médicale, psychique ou sociale un hébergement d’urgence.

Or, son premier représentant ici en Gironde, à Bordeaux, la Préfecture, continue de bafouer l’article L345-2-2 du code de l’action sociale et des familles.

Cet été encore, les expulsions orchestrées par Mme Fabienne Buccio ont mis plus de 800 personnes à la rue sur Bordeaux métropole. Et d’autres encore sont prévues, du fait des fins de prise en charge dans les dispositifs d’hébergement. Cela au grand désespoir des associations, des parents d’élèves et des travailleurs sociaux.

Le personnel des CCAS, du CAIO ou même du Département, les associations, le personnel de l’éducation nationale, les profs et les parents d’élèves, ainsi que les familles concernées, et même les hôtels, ont dû faire appel à la Fondation Abbé Pierre pour des mises à l’abri d’urgence.

Pour le mois de juillet, uniquement, cela représente 45 000 €.

La solution aux expulsions de la part de la Préfecture et des institutions ne peut se résumer à deux nuits d’hôtel ni à une demande auprès de nos associations pour fournir du matériel de camping, comme cela nous a été demandé au pont St-Jean ou à bordeaux Lac.

Nous, associations de maraudes, attendons de vraies mesures permettant l’accueil de toutes et tous les sans-abris, quelle que soit leur situation administrative, leur nationalité ou la raison de leur présence sur le territoire, leur état de santé ou leurs addictions :

– À commencer par cet hiver avec l’ouverture immédiate de 1 000 places d’accueil et la mise à disposition d’abris complémentaires en cas de températures inférieures à 10 degrés (gymnases, réquisitions d’hôtels, tiny house, etc. )

La température idéale selon le gouvernement est de 19° !

– La mise à l’abri des personnes à la rue n’étant pas une solution pérenne, les associations de maraudes réclament également, une politique d’accompagnement plus efficace, d’autant que 6 personnes à la rue sur 10 ne sont même pas accompagnées par un travailleur social.

L’arrêt des séparations des couples ou des familles dans les hébergements ainsi que des changements incessants d’hébergement afin de garantir aux enfants une stabilité dans leur scolarité.

– Nous demandons également la création de pôles d’urgence administrative destinés spécifiquement à ce public, en lien direct avec les administrations (CAF, Impôts, Sécurité sociale, services d’état-civil). Cela faciliterait entre autres, les demandes de logement, l’ouverture des droits et la réédition des documents perdus, volés ou jetés par les services de l’État ou des mairies lors des évacuations de tentes ou expulsions de logements.

– À l’image du CAIO, nous souhaitons l’adaptation de l’accueil des bénéficiaires avec leurs chiens le temps de leurs rendez-vous. Au CAIO, les bénéficiaires peuvent être accompagnés de leurs chiens dans les bureaux le temps de leurs entretiens.

Nous demandons aussi la reconnaissance et un soutien adapté aux victimes de la rue en cas d’agressions, de vols ou de viols. Ceci est aujourd’hui l’un des points les plus importants de cette grève, les maraudes se retrouvent toujours en première ligne face aux victimes dans la rue, sans aucun soutien psychologique, à gérer tout de A à Z, et, dans la quasi-totalité des cas, aucune suite n’est donnée aux mains courantes et aux dépôts de plaintes des victimes de la rue.

– Enfin, les associations de maraudes tristes voir honteuses de devoir couper des croissants en deux pour en donner à tout le monde, demandent à l’état de financer l’achat des denrées alimentaires fournies par la Banque Alimentaire à certaines maraudes, charge actuellement assumée par la Fondation Abbé Pierre. De même, nous souhaitons le financement de locaux associatifs adaptés à la préparation de repas et au stockage de denrées alimentaires.

Une majeure partie de l’action auprès des personnes laissées dans la rue repose actuellement sur le bénévolat des citoyens et citoyennes.

Chaque association de maraudes dépense en moyenne 15 000 euros dans l’aide alimentaire (hors achats de matériel de camping). Les subventions attribuées, allant de 1 000 à 2 000 € en moyenne, sont donc très loin de couvrir nos frais. Pour répondre à cela, nous avons alors essentiellement recours aux dons de particuliers, en baisse chaque année.

Une maraude, c’est l’aboutissement d’un travail collectif conséquent et invisible en amont. Ce travail englobe des récupérations alimentaires, le transport de marchandises, de la manutention, le tri de vêtements, mais aussi de la cuisine pour préparer les plats distribués, la distribution, et après la maraude un gros travail de nettoyage.

Chaque maraude nous amène à rencontrer des centaines de personnes, toutes avec une histoire différente et des besoins d’écoute, d’attention, de soutien et d’accompagnement.

Nous essayons de les aider au mieux en leur apportant, eau, nourriture, produits d’hygiène, vêtements, chaussures, etc. Nous faisons en fonction de nos collectes de nos disponibilités.

Mais comme vous le comprenez, nous sommes à bout, fatigués, épuisés.

Nous ne pouvons plus compenser et pallier les manquements de l’État et des collectivités !

Au gouvernement, nous disons que :

Nous ne voulons plus de VOS SOLUTIONS !

Nous voulons des solutions ADAPTÉES !

Cette action inédite en France, peut paraître surprenante, mais malgré les représailles que subissent certaines associations de solidarité en France, elle est soutenue par les premières personnes concernées, et n’a pour autre but que de venir en aide aux invisibles de la rue et de leur permettre de vivre dignement.

Les associations de maraudes et solidaires

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